L’Epine dans le cœur. Film de Michel Gondry. France, 2010, 82 minutes.
Michel Gondry a une tante dénommée Suzette. Elle a été institutrice pendant plus de trente ans, dans les Cévennes, plus exactement dans huit écoles successives dans le département du Gard. Elle est maintenant à la retraite depuis une bonne vingtaine d’années. Lorsque son cinéaste de neveu décide de faire un film sur elle, c’est d’abord pour retracer cette carrière professionnelle bien remplie. Mais très vite cet aspect passe quasiment au second plan. Ce que raconte le cinéaste Michel Gondry, c’est la vie de Suzette Gondry, sa vie personnelle, sa vie de famille. Une famille qui est aussi celle de Michel. Une façon détournée de parler de soi, avec pudeur, mais aussi avec sincérité. Une enquête familiale quoi résonne comme une autobiographie.

La vie professionnelle de Suzette, ce sont des changements d’école, la découverte de nouveaux villages, la rencontre de nouveaux collègues, de nouveaux voisins. Gondry ponctue cet itinéraire avec des vues d’un train électrique (dont on découvrira vers la fin du film que c’est une passion de Jean-Yves, le fils de Suzette), avec en surimpression l’indication du village et de l’année de nomination. Suzette évoque au fil de ce parcours les difficultés de ses débuts, son arrivée dans une classe unique sans formation, le premier rapport de l’inspection, les locaux souvent vétustes. Ce voyage souvenir lui permet de retrouver d’anciens collègues, d’anciens élèves ou leurs parents. Un ancien Harki par exemple qui raconte son arrivée dans les Cévennes et sa scolarisation dans la classe de Suzette. Toutes ces rencontres font l’éloge de Suzette, de sa dévotion pour son travail, de son dévouement pour les élèves. Le côté « innovant » de ses pratiques est aussi évoqué, comme le fait de conduire sa classe à la piscine pour que les enfants apprennent à nager. Un portrait attendrissant d’une institutrice « à l’ancienne », dans une France rurale où la vie sociale était fondamentale. Gondry a-t-il pensé à Pagnol en le réalisant ?

Ce portrait d’enseignante, c’est aussi le portrait d’une femme, une femme simple, gaie (le fou rire du pré-générique est un morceau d’anthologie), dynamique dont le film retrace, par petites touches, les joies et les peines, les moments cruciaux de la vie ou des instants plus anodins. Si Suzette est bien sûr le personnage principal du film, un personnage que Gondry transforme en véritable actrice de cinéma, son fils, Jean-Yves, lui ravie presque la vedette dans les nombreuses séquences où il évoque sa scolarité (ce n’est pas facile d’être dans la classe de sa mère), ou ses relations avec son père, à propos en particulier de la découverte de son homosexualité. Gondry alterne ainsi avec une grande maîtrise du montage, les moments de joie et de tristesse, les rires et les pleurs, mais toujours avec une retenue qui évite tout risque d’exhibitionnisme.

Le film inclue tout au long de ces portraits des images du passé tournées en 8 mm, en particulier par Jean-Yves à l’occasion de fêtes et de réunions familiales. Il nous propose aussi des images de certaines classes de Suzette et de ses élèves. Visiblement, la famille Gondry a une passion pour le cinéma.