M Bachman et sa classe. Maria Speth, 2021, 217 minutes.
Si le cinéma documentaire s’est toujours intéressé au monde scolaire, les films entrant dans une classe pour capter la vie des élèves et de leur enseignant sont finalement plutôt rares. On pense bien sûr à Dis maitresse de Jean Paul Julliand pour la maternelle, Être et avoir de Nicolas Philibert pour l’élémentaire ou Entre les murs de Laurent Cantet pour le secondaire, pour ne citer que les plus réussis. A ces films célèbres il faut maintenant ajouter M Bachman et sa classe de Maria Speth.

Le film correspond parfaitement à son titre. D’un côté un enseignant ; de l’autre des élèves. Mais il ne s’agit nullement d’une opposition. D’une complémentarité plutôt, tant il apparait clairement tout au long du film que chaque côté de la relation ne va pas sans l’autre. Que serait M Bachman sans ses élèves, sans son métier auquel il consacre toute son énergie. Et que seraient ces élèves sans un enseignant qui se penche avec bienveillance sur leur présent et les aide à préparer leur avenir ?
La classe de M Bachman est une classe particulière – le film ne prétend absolument pas à être une vision de l’ensemble du système scolaire allemand, même si la connaissance de celui-ci permet de mieux comprendre certains des enjeux de l’avenir des élèves. Elle est composée exclusivement d’enfants – ou d’adolescents – issus de l’immigration. Ils sont arrivés de Turquie, de Bulgarie, de Roumanie ou de Russie, il y a plus ou moins longtemps. A leur arrivée ils ne parlaient pas allemand. Au moment où débute le film leur maîtrise de la langue est extrêmement disparate. Certains ont encore beaucoup de difficulté, à l’oral comme à l’écrit. Alors que d’autre ont acquis un niveau de langue qui ne les handicape plus trop dans leur scolarité. Mais tous sont là pour progresser. Et après plus de trois heures de film, il est clair que tous ont réalisé les progrès qui étaient à leur portée.

Car la majorité des activités scolaires qui nous sont montrées concernent la langue, l’oral surtout. Le temps passé à des conversations sur des sujets variés, mais toujours en prise avec le vécu et l’histoire de ces jeunes, est l’essentiel des journées de classe. Il est aussi beaucoup fait appel à l’imaginaire, à la créativité de chacun, pour raconter des histoires et des contes. Et il s’agit toujours de les oraliser devant les autres à qui il est demandé une écoute attentive. Prendre la parole dans un groupe n’est pas toujours chose facile, surtout pour les filles. Mais le climat d’entente et de solidarité qui s’est établi dans la classe – un climat qui n’a pas toujours existé tant les garçons en particulier pouvaient être pétris des préjugés de leur culture d’origine – est un facteur essentiel, et indispensable, à la réalisation des apprentissages.
Le film ne propose pas de modèle pédagogique. D’ailleurs il est très peu question de pédagogie. M Bachman ne présente pas ses méthodes de travail. Ce qui pourrait donner à penser qu’il n’en a pas, ou si peu. Mais ce n’est bien sûr qu’une apparence. Etant près de la retraite, il n’a plus besoin de justifier les fondements de son travail. De toute façon on pourrait très bien résumer ses options pédagogiques en un mot : confiance. Faire confiance aux élèves pour qu’il fasse confiance au maître et qu’ils aient confiance en eux-mêmes et à leur possibilité de progression.

On fait beaucoup de musique dans la classe de M Bachman. On joue de la guitare, de la basse et même de la batterie. Et on chante. Le tout dans une ambiance joyeuse. Le film nous montre plus de séances de musique que de maths. Pourtant ces dernières font bien l’objet d’évaluations notées. On n’assiste pas au conseil de classe mais les élèves reçoivent un bulletin scolaire qui fait le bilan de leur année. Bref, par bien des aspects, la classe se situe dans un contexte qui reste plutôt traditionnel. Il n’est nullement question dans le film de révolutionner la pédagogie ou de contester le système scolaire.
Mais le plus intéressant – le point fort du film – c’est le portrait de monsieur Bachman, un enseignant hors du commun. Toujours coiffé d’un bonnet de laine, il ne correspond pas à l’image de l’enseignant lambda. Toujours clame et posé, il semble ne jamais perdre son sang-froid, même dans les situations les plus tendues. Nous suivons les entretiens qu’il réalise avec les élèves, en présence parfois de leurs parents. Toujours c’est la bienveillance qui domine. Et la sincérité. D’ailleurs c’est bien ce qu’il demande avant tout à ses élèves : dire toujours ce que l’on pense et ressent. Et ne jamais céder aux pressions des uns ou des autres. Une construction du « vire ensemble » en acte.

La classe verte marque la fin du film, et de l’année scolaire. Les élèves de la classe de M Bachman vont se disperser. La cinéaste les retrouvera-t-elle un jour dans la vie active ? Bien des spectateurs garderont sans doute un souvenir ému de leur rencontre. Le film les a rendus si attachants.
Un film qui n’a rien de tapageur mais qui pourrait bien faire quelque bruit dans le monde de l’éducation.
Festival International du Film Indépendant de Bordeaux.