Ecce ojo. Inès Compan, 2020, 58 minutes.
La Colombie peut-elle retrouver la paix. Après 50 ans de conflit armé, la guérilla des FARC et le gouvernement ont signé un accord de cesser le feu. En 2016. Est-ce pour autant la fin d’une violence généralisée, omniprésente. Une violence qui n’épargne personne, qui n’a épargné personne. Et dont les traces sont toujours bien visibles.

Bien des victimes de cette violence – une balle perdue, sauter sur une mine anti-personnelle – portent dans leur corps les stigmates de la guerre. Des corps mutilés, des visages défigurés. Nombreux ont perdu un œil par exemple. Comment retrouver une vie normale, sereine, avec une gueule cassée ? Comment accepter cette nouvelle image de soi ?

C’est le travail de Margarita de repérer autant que faire se peut ces dégâts de la violence et de la guerre. Nous la suivons dans son laboratoire où elle fabrique des prothèses. Un travail précis, minutieux, exécuté avec une patience extrême. La caméra filme en gros plan cet œil, ou cette oreille, où un pinceau très fin dessine de minuscules veines. Et puis il faut veiller à l’harmonie de l’ensemble du visage, ce qui implique de rechercher la couleur exacte que doit avoir la nouvelle oreille.

Mais bien sûr, le travail de cette médecin particulièrement consciencieuse et sympathique ne s’arrête pas là. Il faut placer la prothèse sur le visage. Ce qui implique aussi de trouver le moyen de la faire accepter. Un vrai travail de psychologue. Ce travail pour faire accepter la douleur qui perdure après la blessure est fondamental. La guerre ne sera pas finie tant que ses traces resteront visibles dans les corps d’hommes et de femmes qui n’étaient pas pourtant des combattants.

C’est le cas de Yésica et d’Estéban, deux victimes de la violence qui sévit encore après l’accord de paix. Nous les rencontrons dans le cabinet de Margarita. Nous les suivons chez eux, dans le quotidien d’une vie qui a basculée un jour avec la perte d’un œil. Yésica raconte ce qui s’est passé le jour de « l’accident », sa peur de devenir un jour aveugle, ses douleurs persistantes. Estéban continue la musique – de très beaux plans nous font admirer sa virtuosité au vibraphone. Mais surtout il s’engage dans la lutte pacifique pour la démocratie, pour le retour à une vie normale pour tous. Deux personnages tournés vers l’avenir et qui vivent leur passé sans ressentiment.

Et puis le travail de Margarita a une autre face, qui intervient dans le film de façon presque naturelle, sans qu’il y ait de hiatus en tout cas. Elle aide Patricia, dont le métier est de restaurer des statues saintes. Pour le visage d’un saint, elle confectionne des yeux avec autant de précision que ceux de Yésica et Estéban. Le résultat, une fois la statue entièrement restaurée, est éblouissant. Il s’agit bien, là aussi, d’une marque de foi en la vie.
Un film qui regarde la situation de ce pays déchiré par la violence, la Colombie, avec beaucoup de lucidité. Mais sans jamais fermer la porte à l’espoir.
