Ardenza. Daniela De Felice. 2022, 66 minutes.
La plume entre dans le champ, se pose sur le papier, trace une ligne, puis deux. Les yeux prennent forme. Puis le reste du visage. Par endroit l’encre noire bave un peu. Un pinceau vient ajouter une touche de couleur, très diluée. Parfois un papier vient brouiller tout ça. Mais tout le film regorge de ces dessins, achevés. Une ponctuation du récit. Tous au même format. Et on revient souvent sur ces plans des dessins en train de se faire.

Un film de souvenirs. Des souvenirs de l’adolescence. En Italie. A 17 ans, la découverte de l’amour, les relations aux amies et aux garçons. Et la découverte de la politique, de l’engagement, de la révolte. Les premières manifestations. L’occupation du lycée. L’élection comme déléguée des lycéens. La découverte de la confrontation avec les adultes, avec le pouvoir des adultes.

Le récit se déroule tout au long du film au même rythme, sans accélération, sans hésitation, linéaire. Une voix off, terne, plate, sans aspérité, sans émotion. Un récit en première personne, qui s’attache plutôt aux événements, mais qui peut tout aussi bien prendre en compte le ressenti intérieur, les sentiments de cette jeune adolescente qu’on ne verra pas, à moins de l’imaginer sur les dessins, surtout ceux renvoyant au premier amour.

Qui parle ? Et de quel lieu ? Un personnage imaginaire ? La cinéaste ? Au spectateur de décider. Mais on ne peut quand même pas écarter la voie autobiographique. Deux séquences du film, encadrant le récit, évoque un séjour en hôpital. Pour quelle raison ? Une maladie, un accident aurait-il été l’occasion de ce retour en arrière, de se replonger dans son passé. Peut-être pour faire le point, comme on dit. A moins que la nostalgie de la jeunesse soit un plaisir nouveau, auquel il serait illusoire de vouloir renoncer.

Aux plans cadrant frontalement les dessins, le film ajoute, en alternance, des images « vivantes », des plans de ville, des lieux connus ou non, et des images de ce passé dans lequel le récit nous amène. Mais ces images ne sont jamais de simples images, des archives par exemples (sauf le plan de Berlusconi en campagne à la télé). Elles sont toujours travaillées, retouchées en quelque sorte, par l’ajout d’une trame en surimpression, par l’effacement des couleurs, par le recours à un quasi floutage. On a de plus en plus l’impression au cours du films, que les souvenirs s’estompent peu à peu, tendent à disparaître. Ils deviennent de toute façon de plus en plus lointains. Le travail des images pour rendre compte du temps qui passe, du temps qui a passé.

Le film est produit par Novanima, cette société si importante dans le domaine du cinéma d’animation. Et effectivement, le film de De Felice est incontestablement un film d’animation. Pas un dessin animé au sens traditionnel, puisque les dessins ne sont pas mis en séquences. Mais ces dessins sont animés par l’outil et la main qui les réalisent, c’est-à-dire qu’ils sont réellement vivants. Et l’ensemble des images retravaillées est une grande réussite visuelle.

Ardenza n’est pas le premier film qui traite de l’adolescence vue dans des souvenirs d’adultes – on pense par exemple à Une jeunesse amoureuse de François Caillat, pour ne citer qu’un titre. Son originalité réside d’une part dans le fait qu’il s’agit d’un regard féminin et d’un autre côté dans le lien très fort établit entre la vie amoureuse et sexuelle et l’engagement politique. Un film qui du coup n’est pas de l’ordre des regrets mais laisse une place intacte à l’espérance.
Visions du réel.2022.
