CHILI EN REVOLTE

Mon pays imaginaire. Patricio Guzmán, 2022, 83 minutes

Patricio Guzmán aime filmer le Chili. Son pays, un pays bien réel. Malgré l’exil. Tout au long de l’exil. De la Patagonie au désert du nord et la capitale, en passant par la Cordillère. Partout des rencontres pour retrouver le film de l’histoire.

Patricio Guzmán aime filmer les Chiliens et les Chiliennes. Les gens du peuple surtout, engagés dans des luttes essentielles. De tout âge et de toute condition. Devant la caméra ils, elles, expriment leurs craintes et leurs espoirs, leur révolte surtout devant la misère, devenue insupportable, les inégalités, l’injustice. On sent leur souffrance dans chaque mot. Ils, elles, sont prêt.e.s à tout pour que cela cesse.

Patricio Guzmán aime filmer les manifestations, les cris de révolte de tout un peuple. Dans l’incipit de son dernier film, comme point de départ de toute l’histoire du pays, il nous montre ces femmes, ces hommes du Chili criant leur soutien au président élu, Allende. Et ce nouveau film, après tant d’années de souffrance et souvent de résignation, sera un cri qui ira en s’amplifiant jusqu’à la victoire. Un mouvement qui se fait sans leader, sans parti politique, un mouvement spontané, imprévisible, et d’autant plus puissant.

Le filmage des manifestations répond à un dualisme imposé par les faits. D’un côté les manifestations violentes, de l’autre les pacifistes. Les premières sont filmées au plus près de l’action, dans les gaz lacrymogènes et sous la pluie de projectiles. Les secondes sont filmées en vues aériennes, pour montrer l’immensité de la foule qui a envahi les rues, les place, toute la ville.

La première partie du film multiplie les scènes de combat de rue. Des rues qui sont jonchées de pierres, de pavés, qu’il suffit de ramasser pour en faire une arme contre la police et l’armée. Aux tirs des forces de l’ordre, répondent les lancers de pierre de tous ces jeunes, ces étudiants qui sont les premiers à se lancer dans l’action. Ils n’ont plus aucune peur, poussés par cette force qui leur vient de tant d’année de silence. Une véritable guerre des rues, des affrontements violents entre la police et les manifestants parmi lesquels on ne compte plus les blessés. Comme celui-ci qui a perdu un œil et qui veut juste que son image témoigne de la brutalité de la répression. Une répression qui finit par être intolérable à l’ensemble de la population.

C’est alors tout un peuple qui descend dans la rue, avec pour seule arme cette fois, des casseroles. Un concert assourdissant, auquel se mêle les slogans chantés, les danses au son des tambours et même une fanfare. La manifestation devient une fête. On ne voit plus la police ni l’armée. La ville, le pays, est aux mains du peuple.

La dernière partie du film suit alors la direction institutionnelle que prend le mouvement populaire, la demande d’une nouvelle constitution remplaçant celle en vigueur depuis Pinochet, le référendum qui officiera cette volonté populaire, la réunion de l’Assemblée constituante chargée de rédiger cette nouvelle constitution et la nouvelle élection présidentielle qui portera au pouvoir un jeune homme de 35 ans qui a participait à toute la contestation. Guzmán met en parallèle l’espoir qu’avait suscité l’élection d’Allende et celle de ce nouveau président. L’histoire se répétera-t-elle ? Le film reste ouvert. Le cinéaste ne propose pas de conclusion. Mais c’est la démocratie qui est la vraie gagnante.

Mon pays imaginaire est bien une seconde Bataille du Chili. En filmant la première, Guzmán avait rencontré Chris Marker qui lui avait donné ce conseil : si l’on veut rendre compte d’un incendie, il faut filmer les premières flammes. Comme tous ses films, Guzmán prend clairement position. Plus que jamais il reste aux côtés du peuple en lutte. La dernière manifestation du film est celle du rassemblement lors du premier discours du nouveau Président. Il nous reste à imaginer la suite.

Par jean pierre Carrier

Auteur du DICTIONNAIRE DU CINEMA DOCUMENTAIRE éditions Vendémiaire mars 2016. jpcag.carrier@wanadoo.fr 06 40 13 87 83

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