Et la retraite ?

Professeur Yamamoto part à la retraite. Kazuhiro SODA, Japon, 2020, 119 minutes

La retraire, au niveau individuel, un changement de vie. Après des années de travail, quoi faire de son temps libre ? Et la vieillesse, la maladie, laissent-elles le temps d’en profiter ?

Le film de Kazuhiro SODA nous propose un regard sur un cas particulier. Au Japon, un psychiatre célèbre arrivé au terme d’une longue carrière. Peut-il laisser – abandonner – ses patients, qui visiblement ont besoin de lui. Et en effet tous lui dissent leur désarroi devant son départ. Ils ne peuvent pas imaginer l’arrêt des séances où ils peuvent trouver un peu de réconfort et quelques conseils pratiques pour affronter les difficultés de la vie. Il a beau les mettre en contact avec un collègue en qui il a toute confiance. Non, c’est le lien particulier, et particulièrement fort, qui a été tissé entre eux qu’il ne faut pas rompre. Et puis, en cas de nécessité (mais la vie elle-même est faite de cette nécessité) il leur donne son numéro de téléphone. Nous ne saurons pas dans le film quel usage en sera fait.

Le film peut se découper en quatre parties, qui s’enchaînent tout naturellement, comme si la présence du cinéaste, et de sa caméra, était le fil qui nous fait suivre ce départ à la retraite où tout se passe comme si le fait de filmer avait toujours fait partie de la vie, et du métier, du professeur.

Nous suivons donc dans la première partie du film ce professeur de psychiatrie que nous avons déjà vu dans un des films de Soda, Seishin (2008). Dès les premières images, c’est la proximité avec le patient qui frappe. Yamamoto n’est pas assis derrière un bureau. Il s’approche le plus possible de la chaise où est assis le consultant. Lui, il se contente d’un coin de table juste suffisant pour prendre quelques notes sur un vieux cahier. Ici, la consultation n’est pas un face à face. Et elle reste toujours très concrète. En tant que médecin, Yamamoto rédige des ordonnances, prescrivant des traitements médicamenteux. Mais en tant qu’homme, il n’hésite pas à rendre au patient de petits services pratiques qui peuvent lui simplifier la vie. Bref, une psychiatrie humaine, qui refuse systématiquement l’enfermement en hôpital. Une position qui sans doute n’est pas majoritaire au Japon, comme le laisse entendre un des patients de Yamamoto qui craint, lorsque ce dernier aura pris sz retraite, de ne plus avoir de soutien pour éviter l’hospitalisation d’office.

La deuxième partie nous conduit dans l’appartement du professeur. Celui-ci va préparer le repas où le cinéaste est l’invité normal, tout à fait naturel pourrait-on dire. Yamamoto prépare le couvert, bols et baguettes, commande des sushis et organise le déroulement du repas. Sa femme, qui sera le troisième convive, ne semble pas pouvoir l’aider. Elle n’intervient pas, se contentant d’une présence passive. On comprendra peu à peu, dans le film, que son état de santé ne lui permet sans doute pas autre chose. Yamamoto propose d’ouvrir une bouteille de saké. Soda refuse car dit-il, il lui faut conduire pour rentrer chez lui. Ce à quoi le professeur rétorque en proposant que le cinéaste reste dormir à la maison, comme un simple membre de la famille.

La suite du film nous plonge de plus en plus dans l’intimité du professeur Yamamoto. Lors de deux visites. La première chez une amie. Bavarde, elle évoque des souvenirs communs en tenant affectueusement la main de la femme du professeur. Puis le couple Yamamoto se rend dans un cimetière rendre hommage à leurs disparus. Le professeur accompli le rituel. Sa femme est silencieuse, toujours aussi passive, comme si elle n’existait pas.

Tout au long du film, le professeur Yamamoto n’a jamais parlé de sa retraite, de la cessation de son activité médicale. A-t-elle laissé un vide en lui ? Le film ne nous en dit rien. Comme il ne dit rien de la maladie de sa femme, de la vieillesse et de l’approche de la mort. Le cimetière de la dernière séquence nous dit pourtant beaucoup plus de chose qu’un long discours. Professeur Yamamoto part à la retraite est le film de la sérénité acquise par le travail. Une sérénité qu’il s’agit de vivre simplement lors de la retraite.

Par jean pierre Carrier

Auteur du DICTIONNAIRE DU CINEMA DOCUMENTAIRE éditions Vendémiaire mars 2016. jpcag.carrier@wanadoo.fr 06 40 13 87 83

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