Eternelle amoureuse.

Fragments d’un parcours amoureux. Chloé Barreau. 2023, 98 minutes.

Un film d’amour ? Oui, mais qu’est-ce à dire ? Un film où l’on montre l’amour ? L’amour que l’on fait ou l’amour que l’on vit en direct. L’amour que l’on rêve, que l’on invente, comme dans la fiction ? Le film de Chloé Barreau ne se situe pas dans ces direction. Il ne participe pas de ce qui ne peut être qu’un voyeurisme plus ou moins assumé. Dans ce parcours amoureux dont il est question, les histoires et les aventures amoureuses sont tout simplement racontées. C’est l’amour dont on parle. Dont on fait le récit. L’amour transformé en discours. On est bien dans un contexte barthésien. Et pas seulement à cause du titre.

Qui raconte ? Apparemment, ce n’est pas la cinéaste. Son film n’est pas en première personne. Il n’y a pas de je dans son discours et pourtant c’est bien de ses amours à elle, Chloé Barreau, dont il s’agit. Mais, et c’est là l’originalité du film. ses amours sont racontés par ceux qui les ont vécus, les autres, les amoureux et les amoureuses de Chloé qui vont se succéder à l’écran, toujours cadrés de façon très traditionnelle face à la caméra. Leur prénom apparait sur l’écran une fois pour toutes et pas toujours lors de leur première apparition, car leur récit n’est pas donné tout d’un bloc. S’il y a un ordre chronologique dans le parcours amoureux de Chloé, dans son récit, de l’adolescence à la maturité, du lycée où l’on passe le bac à celui où l’on suit une prépa, de la vie parisienne à la fuite en Italie et au retour de Rome, la présentation de cette histoire entremêle souvent les récits. Et donc appelle aussi les différences de points de vue. On a plutôt affaire à un récit éclaté. Le montage s’accélère parfois pour donner des réponses aux questions, aux sollicitations, que l’on devine venant du hors-champ. S’il fallait présenter Chloé en un seul ou 2 mots ? S’il fallait résumer l’amour vécu avec elle en une formule, et ainsi de suite.

Tout le film repose donc sur ce dispositif introduisant une distance par rapport au vécu, une rupture dans la dimension autobiographique. Qui filme ? Ce n’est pas Chloé, puisque celui ou celle qui parle ne s’adresse jamais directement à elle. S’il n’y a pas de je, il n’y a pas non plus de tu dans le film. Pourtant, le récit des amours avec Chloé n’est effectué que pour figurer dans le film des amours de Chloé, un film réalisé par Chloé, où ceux qui racontent ne figurent qu’au second plan, comme des seconds rôles ? Le premier n’étant tenu que par Chloé elle-même. Même lorsqu’elle n’apparaît pas à l’image ou si peu.

Le dispositif du film renforce l’idée que l’amour ne peut être raconté qu’au passé, qu’après sa fin, qu’une fois la page tournée. Une idée que l’on avait déjà rencontrée dans des films autobiographiques, le Jaurès de Vincent Dieutre par exemple, ou Une jeunesse amoureuse de François Caillat. Dans un tel récit, c’est donc la mémoire qui officie, avec ses imprécisions, ses lacunes ou ses coups de projecteur, qui peuvent très bien n’être qu’anecdotiques.  Mais quoi qu’il en soit des imperfections de la mémoire, le récit amoureux ne peut faire l’impasse de la rencontre, la révélation de l’amour, le coup de foudre, aussi qui ne peut jamais faire l’objet d’un déni. De même, la rupture, même si la disparition de l’amour est déjà plus ou moins longuement anticipée, ne peut rester dans le hors-champ, le non-dit avec ses sous-entendus et ses dénégations.

Rempli de nostalgie, et pas seulement à propos du premier amour de l’adolescence le film de Chloé Barreau ne peut pas s’adresser à ceux qui vivent leur amour dans le présent. Il faut avoir vécu le passage du temps pour en ressentir toute la charge émotive. Certes, Chloé film ses amours au moment où elle les vit. De façon continue et quasi compulsive, au point d’indisposer certains de ses partenaires. Mais elle nous donne avec ces images des traces de l’amour, comme des aides ou des supports à la mémoire. En devenant des images de cinéma, en résultant d’un montage filmique, elles perdent leur fraîcheur et leur spontanéité. Mais elles deviennent les signes de l’universalité du sentiment amoureux.

A lire, à propos du premier film de Chloé Barreau :La faute à mon père. Le scandale de l’abbé Barreau https://dicodoc.blog/2022/07/12/pretre-marie/

Avatar de jean pierre Carrier

Par jean pierre Carrier

Auteur du DICTIONNAIRE DU CINEMA DOCUMENTAIRE éditions Vendémiaire mars 2016. jpcag.carrier@wanadoo.fr 06 40 13 87 83

Laisser un commentaire