T COMME TITICUT FOLLIES.

Film de Frederick Wiseman. Etats Unis, 1967. 1h20.

            Titicut follies est un film qui occupe une place tout à fait exceptionnelle dans l’histoire du cinéma documentaire mondial. Premier opus d’une série de plus de quarante films, on y trouve sous sa forme quasi définitive la méthode qui fera le succès de son auteur, absence d’interview, de commentaire off et de musque additionnelle, un regard pénétrant tout en étant personnel sur les institutions américaines, auxquelles il faut ajouter quelques films consacrés aux hauts lieux de la culture française. En second lieu, Titicut follies est l’exemple parfait d’une censure qui ne dit pas son nom, une censure qui n’est pas le fait du pouvoir politique mais qui, prenant la voie d’une attache juridique, est tout aussi efficace et constitue explicitement une atteinte à la liberté créatrice, beaucoup plus d’ailleurs qu’à la liberté d’expression. Le film fut interdit de diffusion pendant une vingtaine d’années.

            Il est vrai que Titicut follies est un film dérangeant. Où se déroule-t-il ? Dans un asile ? Dans une prison ? Dans une prison qui est un asile ou inversement. Les gardiens ne sont pas des infirmiers et ils portent un uniforme qui renvoie plutôt à la police ou à l’armée. Il y a bien un médecin (désigné comme tel), mais l’action d’un corps médical réduit semble plutôt se limiter à augmenter la dose de médicaments. Dans le seul entretien « médical » auquel nous assistons, l’homme interrogé reconnait avoir pratiqué des relations sexuelles avec des fillettes de 10-11 ans. Le mot viol n’est pas prononcé. Mais nous comprenons qu’il échappe à la prison parce qu’il a été reconnu comme « malade ». Il n’est pas en prison, mais derrière les murs de Bridgewater où se déroule le film c’est peut-être pire. D’ailleurs un des « pensionnaire » demande expressément de retourner en prison. Ici, dit-il en substance, il dépérit. Les médecins le jugeant paranoïaque (ou schizophrène, peu importe) ne le laisseront pas partir.

            Les conditions de vie des hommes qui sont enfermés là sont à la limite de l’inhumanité. La plus part du temps ils sont nus. Leur « chambre » ? C’est ainsi qu’est désigné la cellule sans autre meuble qu’un matelas sur le sol dans laquelle ils sont enfermés à double tour. La caméra de Wiseman s’attarde sur les visages, filmés en gros plan, des visages déformés, à la limite de la monstruosité. Les comportements de ces hommes sont d’ailleurs identifiables comme «anormaux », caractéristiques de l’image courante de la folie (mais le terme n’est jamais prononcé) : délires verbaux ou gestes compulsifs répétitifs à l’infini. Les gardiens, nombreux, ne témoignent aucun sentiment, aucune compassion, envers eux. On dirait même qu’ils les exhibent comme du bétail ! Une des scènes la plus forte du film, une scène célèbre dans l’histoire du cinéma, montre comment un homme est nourri par l’intermédiaire d’un tuyau enfoncé dans son estomac par le nez. Le médecin (?) qui officie, cigarette à la bouche, se réjouit de la passivité de l’homme. Pour lui, c’est un « bon patient ».

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            Un panneau final, imposé au cinéaste par la justice, précise que depuis 1966 (date du tournage du film) des transformations ont été effectuées à Bridgewater, cette prison réservée aux criminels malades mentaux. Il n’empêche. Le témoignage de Wiseman est accablant.

Par jean pierre Carrier

Auteur du DICTIONNAIRE DU CINEMA DOCUMENTAIRE éditions Vendémiaire mars 2016. jpcag.carrier@wanadoo.fr 06 40 13 87 83

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