Derrière les fronts. Résistance et résiliences en Palestine, Alexandra Dols, 2017, 113 minutes.
Comment peut-on vivre dans un pays occupé ? Comment peut-on supporter – accepter – l’humiliation de la perte de liberté. Ne plus être maître chez soi. Ne plus être chez soi dans son propre pays. Supporter la limitation de ses mouvements, de ses déplacements, de l’accès à son travail. Etre voué à l’arbitraire des décisions des soldats aux check points, ces contrôles incessants où le bon vouloir des soldats a force de loi. Comment supporter les brimades incessantes de ces contrôles où il faut à chaque fois prouver son identité et surtout ne pas déplaire aux soldats. Comment supporter – ne pas être totalement effondré, étouffé, sous le joug d’une armée étrangère qui dépouille tout un peuple de sa terre, de son identité ?
Si la question est clairement posée dans le film d’Alexandra Dols, la réponse qu’elle apporte, que ses interlocuteurs palestiniens apportent – ne l’est pas moins. Ne pas se résigner, résister.

Filmant en Palestine, la vie quotidienne en Palestine, Alexandra Dols filme la réalité de l’occupation de la Palestine par l’armée israélienne. Elle filme la souffrance du peuple palestinien. Ces femmes et ces hommes, ces enfants aussi, qui subissent, dans leur corps et dans leur tête, l’occupation israélienne.
Le fil rouge du film, notre guide en Palestine occupée, c’est Samah Jabr, psychiatre de son état, et dont toute la réflexion, et toute l’activité, est centrée sur les effets, les répercutions, de l’occupation sur les esprits – et la pensée – des Palestiniens. Car pour elle, le plus important ce ne sont peut-être pas les effets directs de l’occupation sur tout un peuple, mais plutôt, les effets psychiques, invisibles, qui transforment les individus en asservis, ces femmes et ces hommes qui ne peuvent plus se vivre autrement qu’asservis, dominés, vaincus. Être occupé, c’est bien sûr être physiquement privé de liberté. Mais c’est surtout ne plus se vivre libre. C’est perdre, comme l’a montré avec force Jean Jacques Rousseau, ce fondement même de l’être humain qu’est la liberté.

Tout au long du film nous suivons Samah Jabr. Nous la suivons dans ses déplacements en voiture, de check points en check points, Nous la suivons dans ses interventions à l’université, dans des groupes de parole qu’elle anime, dans des séances de thérapie individuelle aussi. Nous l’écoutons parler de l’occupation, de son vécue de femme occupée, toujours avec une grande retenue, mais aussi beaucoup d’émotion. Car cette occupation, elle la vit dans tout son être, elle la subit dans tout son être, dans sa pensée et dans son corps.
Le film retrace l’histoire de l’occupation israélienne de la Palestine, depuis la Naqba – la « catastrophe » où tout un peuple a perdu sa terre et s’est vu chassé de ses maisons, jusqu’à aujourd’hui en passant par les deux intifada. Une histoire évoquée par des images d’archives et de longs textes qui s’impriment sur l’écran. Des rappels historiques nécessaires pour comprendre le vécu actuel des palestiniens. Est-il encore possible d’espérer qu’un jour la Palestine sera libre ? « Je ne verrai peut-être pas de mon vivant la Palestine libre, dit cette femme universitaire qui a connu la prison israélienne, mais je suis convaincue qu’un jour la Palestine sera libérée. »

Les prison israéliennes, beaucoup de Palestiniens les ont connues et les connaissent encore. Il suffit pour être emprisonné d’être soupçonné de terrorisme ou de soutenir la résistance palestinienne. Une longue séquence décrit avec beaucoup de précision grâce à des planches dessinées les « techniques » de torture utilisées par les geôliers israéliens. Mais la violence explicite de l’occupation réussira-t-elle à briser la soif de liberté de tout un peuple ?