V COMME VILLE NOUVELLE

J’ai aimé vivre là. Régis Sauder, 2020, 90 minutes.

En parlant de Cergy Pontoise, on ne dit pas la banlieue. On dit la ville nouvelle. Pourtant à 40 kilomètres de Paris, par temps clair – pas trop pollué – depuis les hauteurs de la ville, on peut apercevoir la tour Eiffel. Dans l’incipit du film nous suivons le RER qui nous y conduit. Et dans son final nous repartons vers Paris. Entre temps nous aurons découvert la ville et ses habitants.

Une ville nouvelle donc, sans passé, sans histoire, surgie d’un vaste terrain vague où il n’y avait rien. Une architecture récente qui comporte bien des expérimentations (comme la fameuse pyramide inversée). Parmi les habitants que le cinéaste rencontre, une des premières habitantes, et des jeunes filles et jeunes garçons qui sont nés là. Celles qui passent le bac s’interrogent sur leur avenir. Il leur faudra sans doute quitter Cergy pour une université parisienne.

Régis Sauder n’habite pas Cergy, mais il y vient souvent. En particulier pour rendre visite à Annie Ernaux qui, elle, connait bien la ville puisqu’elle y réside depuis de nombreuses années. Le film est né de cette rencontre, le rencontre du cinéma et de la littérature.

La littérature ici, ce sont les textes d’Annie Ernaux, des extraits de ses livres où elle parle de Cergy, de sa relation à la ville, et du temps qui passe dans cette vie citadine. Des textes que l’autrice lit elle-même, ou bien qui sont lus par les jeunes habitants de Cergy que l’on voit parfois livre en main.

Les images sont souvent en étroites corrélation avec ces textes, sans jamais être redondants ou simplement descriptifs. Il s’agit plutôt d’une vision cinématographique de la ville, qui garde son autonomie par rapport à celle de l’écrivaine. Mais la concordance, et la juxtaposition, de ces deux visions procure un plaisir double, celui du texte et de l’image. J’ai aimé vivre là n’est pas de la littérature filmée. On devrait plutôt parler d’une connivence entre les deux modes d’expression.

Mais le film a aussi sa perspective propre, dans les rencontres que fait le cinéaste et les entretiens qui en découlent. Sauder donne une grande place aux jeunes – une ville nouvelle est elle-même dans sa jeunesse. Il suit des groupes de filles et de garçons qui effectuent une sorte de visite guidée dans les lieux caractéristiques de Cergy, les bâtiments, les places, le lac et ses jeux nautiques, le parc où on se sent à la campagne. Il les faits parler sur la ville, sur leur relation à la ville, mais surtout sur leur vie. Les loisirs tiennent une grande place, concert de musique et moment de danse.

Tout ceci donne une tonalité sereine au film, même si les lycéens s’inquiètent un peu sur le moment où il leur faudra quitter Cergy. Une tonalité que l’on doit pouvoir retrouver dans les romans d’Annie Ernaux. Une sérénité que l’on retrouve dans ce pique-nique familial qui réunit une mère antillaise et ses cinq enfants.

Il y a pourtant un moment du film d’une toute autre gravité. La patinoire a été transformée en centre d’accueil de réfugiés. Une jeune femme qui travaille là est submergée par l’émotion en évoquant la situation de ceux qui ont traversé bien des dangers pour venir jusque-là. Ses larmes sont un véritable hommage à tous les migrants.

Le film se termine par un feu d’artifice. Décidément, il fait bon vivre à Cergy-Pontoise.

Par jean pierre Carrier

Auteur du DICTIONNAIRE DU CINEMA DOCUMENTAIRE éditions Vendémiaire mars 2016. jpcag.carrier@wanadoo.fr 06 40 13 87 83

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