Bonjour Monsieur Comolli. Dominique Cabrera, 2023, 84 minutes.
Dominique Cabrera se rend chez Jean-Louis Comolli pour s’entretenir avec lui en tant que cinéaste et théoricien du cinéma. Ou plutôt, elle se rend chez lui pour faire un film. Car il a accepté l’idée de l’entretien à condition qu’il soit filmé. Son dernier film sans doute, dit-il, même si ce n’est pas en tant que réalisateur.

Car Jean-Louis Comolli est malade. Il revient d’un séjour à l’hôpital. Il souffre d’un cancer qui lui sera fatal peu de temps après la réalisation du film. Pourtant il ne donne pas l’impression de souffrir ou de vivre ses derniers instants. Il est même étonnamment vif d’esprit, n’ayant rien perdu de cette finesse d’analyse qui a caractérisé l’ensemble de ses ouvrages. Pas plus d’ailleurs que son sens de l’humour. Il rit beaucoup dans le film de Dominique Cabrera, un film qui n’a rien d’une nécrologie.

Si Bonjour Monsieur Comolli est bien un hommage – discret et plein de retenu – ce n’est nullement un testament, et encore moins un bilan. Les différents films de Comolli – les fictions comme les documentaires – ne sont pas cités. Il est aussi très peu question de sa carrière de critique, et les Cahiers du cinéma, dont il fut rédacteur en chef de nombreuses années – ne sont jamais mentionnés. De même il n’est pas question de sa passion pour le jazz et des ouvrages qu’il lui a consacré. Mais l’intérêt du film n’est pas là. Il s’agit plutôt d’une rencontre avec un homme, certes à la fin de sa vie, mais qui reste bien vivant, totalement engagé dans le cinéma et vivant toujours pour le cinéma.

Jean-Louis Comolli et Dominique Cabrera ont un point commun, en dehors d’être cinéaste. C’est celui d’être nés en Algérie et d’être rentré en France avec leur famille à l’indépendance, alors qu’ils étaient enfant pour elle et adolescent pour lui. C’est donc tout naturellement qu’ils commencent leur entretien par le temps passé en Algérie. Pour Jean-Louis, c’est sa jeunesse qui est évoquée, le lycée où il dit être plutôt solitaire, n’ayant que peu d’amis et ne connaissant pratiquement pas d’Arabes. Il raconte alors une anecdote surprenante. Un jour, dans la cour du lycée, un jeune Arabe lui donne un livre, un livre qui se révèle bizarre avant même que la lecture en soit commencée. Pas de nom d’auteur, pas d’éditeur, juste un titre : Les 120 journées. Comolli ne commente pas la lecture qu’il en fera. Simplement il s’interroge sur ce don anonyme, dont il ne connaît pas l’auteur et qu’il ne reverra jamais.

Mais très vite, on en vient à parler cinéma. On peut bien sûr retenir quelques-unes des sentences phares prononcées avec une simplicité déconcertantes, comme si elles allaient de soi. Par exemple : « tout est faux dans la société sauf le cinéma » ; « le cinéma, c’est l’expérience de la croyance » ; ou bien « c’est la résistance à l’entreprise de destruction menée par le capitalisme ». On comprend alors pourquoi le cinéma est essentiel à la vie et comme il permet de vivre. Au fond il n’y aurait que dans une salle de cinéma qu’on peut se sentir vraiment en sécurité.

Toutes ces idées semblent s’appliquer principalement au cinéma de fiction. Pourtant, après plusieurs longs métrages, Comolli l’abandonnera au profit du documentaire, qu’il juge bien plus riche que la fiction. C’est là qu’il trouvera un véritable « champ libre ». Un jugement qui fait plaisir d’entendre dans la bouche de cet admirateur du cinéma hollywoodien.

Suivant l’esprit même de la vision du cinéma de Jean-Louis Comolli, le film de Dominique Cabrera est une mise en scène de leur relation. Les différentes visites sont situées dans le temps par un carton des plus sobres. Et elles commencent toutes par le même cérémonial. Devant la porte d’entrée, dans la rue, il faut se signaler à l’interphone. Puis dans l’appartement, il faut parcourir le long couloir menant au bureau du maître où sera prononcé invariablement la même salutation : « Bonjour Monsieur Comolli ».
Sur les docs de Jean-Louis Comolli on pourra consulter :
Cinéma documentaire. Fragments d’une histoire https://dicodoc.blog/2016/03/16/h-comme-histoire-comolli/
La Vraie vie (dans les bureaux).
Le Concerto Mozart
L’Affaire Sofri. https://dicodoc.blog/2020/12/12/j-comme-justice-italie/
Naissance d’un hôpital. https://dicodoc.blog/2020/12/11/h-comme-hopital-architecture/
Marseille contre Marseille :
