Des films anciens ou récents, inédits ou culte ; des entretiens avec des cinéastes ; des filmographies thématiques. Le documentaire sous toutes ses formes.
Démocratie est une notion complexe qui peut être abordée selon de multiple perspectives.
La filmographie qui suit est une première approche, qui en appelle d’autres, passées et futures.
Nous n’avons pas repris ici les films sur le mouvement des Gilets Jaunes, qui fut à bien des égards une revendication d’une plus grande démocratie dans la vie publique. Voir G COMME GILETS JAUNES)
De même, pour les films sur la presse et les médias, la liberté de la presse étant souvent considérée comme indispensable à la démocratie en tant que contre-pouvoir (voir la filmographie sur les médias).
De prochaines recherches porteront sur les élections et les campagnes électorales en tant qu’elles peuvent être considérées comme des moments spécifiques de la vie démocratique.
De même, une filmographie spécifique abordera les films centrés sur des manifestations dans les mouvements de refus de la dictature qui montrent que la démocratie n’est jamais définitivement vaincue.
17 Minutes pour la démocratie (2002). Didier Nion
A la tribune (2019). Bénédicte Loubière
A ma place (2020) Jeanne Dressen
At Berkeley (2013). Frederick Wiseman
L’Assemblée (2017), Mariana Otero
La Bataille du Chili (1975-1979 Patricio Guzman
Birmanie : fin de dictature ?(2014) Michaëlle Gagnet
Caricaturistes : fantassins de la démocratie (2014) Stéphanie Valloatto
Le Cas Pinochet Patricio Guzman
La cité politique (2018), Florence Gatineau-Sailliant Bex
City Hall (2020), Frederick Wiseman
Connu de nos services (1997). Jean-Stéphane Bron
Convention citoyenne, démocratie en construction (2020). Naruna Kaplan de Macedo
Crisis, Behind a Presidential Commitment (1963). Robert Drew
Les Couleurs du peuple (2018), Anita Volker et Laura Flint
Démocratie année zéro (2014) Christophe Cotteret.
Les Enfants des mille jours (2013), Claudia Soto Mansilla et Jaco Biderman
En Politica (2018) Penda Houzangbe et Jean-Gabriel Tregoat
Kinshasa Makambo (2018) Dieudo Hamadi
Nous le peuple (2019) Claudine Bories et Patrice Chagnard
Nuit debout (2016) Sylvain Louvet et Aude favre
Outcry and whisper (2020). Wen Hai, Jingyan Zeng, Trish McAdam
Palazzo delle Aquile (2011) Alessia Porto, Stefano Savona, Ester Sparatore
Paris est une fête (2017), Sylvain George
Le procès contre Mandela et les autres (2018). Nicolas Champeau, Gilles Porte
Taïwan, une démocratie à l’ombre de la Chine (2020) Alain Lewkowitz
Vers Madrid – The Burning Bright – (Un film d’in/actualités) (2014) Sylvain George.
La 30° édition du festival international du film d’histoire
de Pessac est consacrée à l’Amérique Latine « Terre de feu ». Un
continent où s’affronte révolution et dictature, du Chili à l’Argentine, sans
oublier l’influence de Cuba. Un cinéma donc essentiellement politique, prenant
position du côté des pauvres et des démunis, mettant souvent en exergue la
figure du « Che » ou de Salvador Allende. Un cinéma de la violence,
des gangs des favelas de Rio au cartel de la drogue en Colombie. Une
dénonciation de la misère du peuple et de la répression sanglantes des
oppositions. Et un événement qui hante tant de films : le coup d’état militaire
de 1973 au Chili
À ciel ouvert, Inès Compan
La
lutte des Kollas contre une multinationale
canadienne venue exploiter une des plus grosses mines d’argent à ciel ouvert du
monde
À Valparaiso, Joris Ivens
Une ville mythique, par son nom (“la vallée paradis”), par son port, par
ses collines. Commentaire de Chris Marker
Alma, une enfant de la violence, Miquel Dewever-Plana & Isabelle Fougère.
Le récit d’un itinéraire au sein d’un gang au Guatemala et la
difficulté pour le quitter.
La Arrancada, Aldemar Matias
Une mère avec sa fille et son fils. La vie d’une famille cubaine
Avenue Rivadavia, Christine Seghezzi
A Buenos Aires, la plus longue avenue du monde
La
Bataille du Chili, Patricio Guzman
Une grande fresque historique, depuis l’élection de Salvador Allende à la présidence jusqu’au coup d’état de Pinochet.
Bienvenue
en Colombie, Catalina
Villar
La
réalité colombienne vue pendant la période électorale de 2002.
Bixa Travestyde Claudia Priscilla et Kiko Goifman
Le portrait de Linn Da
Quebrada, la star queer qui combat le machisme sous toutes ses formes, au
Brésil.
Bolivie
Brésil, la frontière de tous les trafics, Patrick Fléouter
Deux pays, deux villes,
face à face.
Le
Bouton de nacre, Patricio Guzman
Deuxième volet de la
trilogie du travail de mémoire à travers une approche de l’océan.
Claves, Atahualpa Lichy.
Le cinéma latino-américain des années 1960-70 et ses
relations avec la critique européenne.
Le
Cas Pinochet, Patricio Guzman
Le dictateur sera-t-il
enfin jugé ou échappera-t-il aux poursuites engagées contre lui en Espagne et
au Chili ?
Chili
1973, une ambassade face au coup d’Etat, Carmen Castillo
L’ambassade de France
ouvre ses portes aux militants pourchassés par l’armée après le coup d’état.
Chili,
la mémoire obstinée,
Patricio
Guzmán
Retour au Chili, après
22 ans d’exil, pour comprendre l’oubli.
La
Cordillère des songes, Patricio Guzman.
Le troisième et dernier
volet du triptyque : le survol des cimes enneigées de la montagne
Cortázar
y Antín: Cartas iluminadas, Cinthia Rajschmir
La rencontre dans les années 60 du jeune cinéaste Manuel Antin et de Julio
Cortazar
Después de la revolucíon, Vincent Dieutre
Buenos-Aires. Un
carrefour, en bas de l’hôtel, le croisement de deux rues. Et faire un plan
fixe.
La
Dignité du peuple, Fernando Solanas.
Défense
de la cause des pauvres et des déshérités.
Edificio
Master, Eduardo Coutinho
Les habitants de
l’immeuble « Edifício Master » à Copacabana, Rio de Janeiro. Douze
étages de 23 appartements chacun.
Etat de guerre, Nicaragua,
Carmen Castillo & Sylvie Blum.
La Contre-Révolution
selon trois points de vue médiatiques : États-Unis, pays étrangers et
Nicaragua.
Les Enfants des mille jours, Claudia Soto Mandilla et Jaco Biderman .
Inventaire
des 1000 jours de la présidence de Savador Allende.
Ernesto
Che Guevara. Le journal de Bolivie, Richard Dindo
La dernière campagne et la mort du « CHE »
La Flaca Alejandra, Carmen Castillo et Guy Girard,
Une militante du MIR, puis
membre (repenti) de la police politique de Pinochet.
Femmes
du chaos venezuelien, Margarita Cadenas.
Portrait de cinq
vénézuéliennes confrontées à un quotidien de plus en plus difficile.
La
Fin et le Début, Eduardo Coutinho
Dans
le Nordeste du Brésil, des rencontres avec des paysans.
Le
Grain et l’Ivraie, Fernando
Solanas
Voyage à travers le
Brésil à la rencontre des agriculteurs. L’utilisation
intensive des pesticides a provoqué l’exode rural, la déforestation,
la destruction des sols mais aussi la multiplication des cas de cancers et
de malformations à la naissance.
Los
Herederos, Eugenio Polgovsky.
La journée d’enfants
dans un village du Mexique. Leur travail dans les grandes exploitations
agricoles.
L’Heure
des brasiers, Fernando Solanas.
Tourné clandestinement,
en 16 mm et noir et blanc, une dénonciation du néocolonialisme. Seule issue
possible : la révolution.
Histoire
de la plaine, Christine Seghezzi
En Argentine, les
ravages de la culture intensive du soja et de l’emploi massif des pesticides.
Homo
Botanicus, Guillermo Quintero.
La passion pour les
plantes du botaniste Julio Betancur dans
la forêt colombienne. Biarritz 2019
El
Impenetrable , Daniela
Incalcaterra et Fausta Quattrini.
L’héritage d’un terrain
perdu dans la forêt amazonienne et transformé en « réserve
naturelle ».
Jericó.
Le Vol infini des jours,
Catalina
Mesa.
Des femmes évoquent les joies et les peines de leur existence.
Jeu
de scène, Eduardo Coutinho.
Une
mise en abime mélangeant documentaire et fiction.
Mémoires
d’un saccage. Argentine, le hod-up de siècle, Fernando
Solanas.
Le destin de l’Argentine,
pays en faillite, où la colère du peuple explose.
Le
mystère des lagunes, fragments andains, Atahualpa Lichy
Les « villages du
sud », dans les Andes vénézuéliennes, la tradition orale, la musique, les
légendes.
Noël
en Colombie, Lizette Lemoine, Aubin Hellot
De
village en village, des rencontres avec des paysans et des artisans.
Nostalgie
de la lumière, Patricio Guzman
Le désert d’Atacama, au
nord du Chili, l’exploration des étoiles, et la recherche des « disparus
de Pinochet ».
La
Nueva Medellin, Catalina Villar
Les
transformations de la ville la plus violente du monde.
Patricio
Guzmán, une histoire chilienne, Catalina Villar
Un
film sur le cinéaste de la mémoire des années sombres du Chili.
Puisque
nous sommes nés, Jean-Pierre Duret et Andréas Santana
Deux adolescents
passent leurs nuits dans une station-service pour essayer de gagner quelques
sous ou trouver quelques restes à manger
Rescapé
des Andes, ARIJON Gonzalo
Un
exemple type de l’usage de la reconstitution.
Le
Rêve de São Paulo, Jean-Pierre Duret et Andréas Santana
Ils ont quitté le Nordeste pour Sao Paulo. Le rêve de la grande ville.
Le
Rideau de sucre, Camila Guzman Urzua.
Des premières années de
la Révolution cubaine aux années de crise de la « période spéciale »
des années 1990
Romance
de terre et d’eau, Jean-Pierre Duret et Andréas Santana
La
pauvreté et la misère des paysans sans terre du Nordeste brésilien.
Rue
Santa Fé, Carmen Castillo.
Le récit
autobiographique d’une vie de militantisme et d’exil après le coup d’état de
Pinochet
Sangre
de Mi Sangre, Jérémie Reichenbach.
Un abattoir autogéré en
Argentine. La vie quotidienne d’une famille qui y travaille.
Salvador
Allende, Patricio Guzman
Hommage
au président élu en 1970.
Santiago
Italia, Nanni Moretti
L’Italie terre d’asile
pour les chiliens après le coup d’état.
Septembre
chilien, Bruno Muel, Théodore Robichet, Valérie Mayoux.
Le
coup d’état au Chili et les victimes de la répression.
El
sicario. Chambre 164, Gianfranco Rosi.
Dans une chambre de
motel, un homme cagoulé de noir raconte 20 ans de sa vie passés au service du
cartel mexicain des narcotrafiquants.
Últimas
Conversas, Eduardo Coutinho
Des
entretiens avec des élèves des écoles secondaires
publiques de Rio de Janeiro.
Zona
Franca, Georgi Lazarevski.
En Patagonie, une grève
bloque les touristes.
Zona Oest, Olivier Zabat.
La violence des favelas
de Rio, du côté des gangs et de celui de la police.
Nous le peuple, Claudine Bories et Patrice Chagnard , 2019, 99 minutes.
Peut-on réinventer la démocratie ? Ce régime qui est souvent défini – et vécu – comme le moins pire à défaut d’être le meilleur. Mais aujourd’hui, beaucoup pense qu’elle est mal en point, malade d’être accaparée par les puissances d’argent, et les politiciens accusés d’être à leur service. Alors, il faut agir. Mais comment ? En changeant la constitution par exemple.
La constitution de la 5° République est-elle encore adaptée à notre société et à ses évolutions ? En particulier, on peut se demander quelle place elle accorde aux citoyens. Ceux-ci peuvent-ils intervenir dans la gestion de la vie politique ? Sont-ils consultés ? Ecoutés ? Ont-ils la possibilité de faire des propositions ? Les politiciens n’ont-ils pas comme visée principale d’obtenir leur suffrage lors des élections ? Et tous, de tout bord, n’ont-ils pas la fâcheuse tendance à oublier leurs promesses une fois élus ? C’est le modèle de la démocratie représentative qui est ainsi visé. Mais la démocratie directe est-elle possible ?
Le film de Claudine Bories et Patrice Chagnard fait la démonstration de la difficulté de faire bouger les choses. Il montre comment les bonnes volontés – et les idées nouvelles – se heurtent à la pesanteur et la rigidité des institutions, le parlement en l’occurrence. Sa conclusion est tout particulièrement pessimiste. Le fossé entre les citoyens et leurs élus est plus profond que jamais. Et pourtant nombreux sont ceux qui croient encore possible de faire bouger une réalité sociale et politique qui ne doit pas être vécue sur le mode de la fatalité.
Les cinéastes ont rencontré ces citoyens pour qui la démocratie ne doit pas rester un simple mot. L’association Les Lucioles du doc a constitué des groupes de réflexion qui vont se donner pour objectif d’écrire une nouvelle constitution. Le film va suivre trois groupes distincts qui communiquent par ordinateur interposé et qui se rencontreront à la fin du film, au moment de la confrontation finale entre les citoyens et leurs représentants. Trois groupes bien différents : des élèves d’une classe de lycée, des personnes purgeant une peine de prison et des femmes réunies au sein d’une association de défense de leurs intérêts. Leurs discutions, dans le foisonnement quelque peu désordonné, ne manquent pas d’intérêt. Elles montrent aussi combien il est dur de s’écouter, de se comprendre, de renoncer à ses visées personnelles. Mais elles montrent aussi que tous ont besoin de s’exprimer. Tous ressentent profondément la nécessité de ne pas en A condition qu’on les écoute, qu’on écoute enfin le peuple.
Il y a là, dans le filmage de ces aspirations à plus de démocratie, la matière à un documentaire politique riche en informations sur la vision que se font les citoyens se font de la démocratie. Mais le film de Claudine Bories et Patrice Chagnard n’en reste pas là. Car il se déroule dans un contexte politique particulier. Le président Macron annonce en effet – conformément à ses promesses de campagne – une réforme constitutionnelle. Un projet de loi en ce sens est déposé à l’assemblée nationale. Des rapporteurs sont nommés. Une commission mise en place. La machine législative est lancée. Ce que nos groupes de citoyens ne peuvent ignorer. N’y a-t-il pas là une occasion rêvée de se faire entendre ? D’agir directement, et concrètement, dans cette réforme fondamentale. Ils souhaitent donc être auditionnés par la commission et écrivent en ce sens à sa présidente. La fin de non-recevoir que contient sa réponse ne les décourage pas tout à fait. Ils vont alors demandé à être reçus par les députés.
Trois ou quatre élus de la nation vont accepter de les rencontrer et de les écouter. Une victoire de la démocratie ? Un premier pas vers la participation directe des citoyens dans le travail législatif ? La fin du film – l’annonce par le Président de la République du retrait du projet de loi – peut laisser un sentiment de vide plutôt amer. Tout ça pour rien ! On bien ne sera-t-elle pas perçue comme la déchéance définitive de la démocratie ? A moins qu’elle ne soit au fond qu’un clin d’œil ironique : ceux qui ont participé à cette aventure se sont quand même bien amusés.
La Dignité du peuple, Fernando Solanas Argentine, 2005, 120 minutes.
Peu de cinéaste ont défendu la cause des pauvres et des déshérités avec autant de force et de sincérité que Fernando Solanas. Solanas filme l’Argentine en crise, une crise économique et financière profonde, dont il attribue la responsabilité à la politique ultralibérale menée par les successeurs de la dictature militaire. Mais il filme surtout les Argentins, ceux qui sont les premières victimes de cette crise, les paysans sans terre, les ouvriers sans travail, ceux qui ont perdu toutes leurs économies, qui n’ont plus de maison où vivre, ceux qui souffrent de malnutrition. Son cinéma est un cinéma de révolte, de dénonciation, de colère devant l’inacceptable. Pourtant, comme son titre l’indique, La Dignité du peuple n’est pas un film désespéré. C’est un film réalisé avec le peuple, pour le peuple. Un peuple qui ne se résigne pas et qui n’attribue pas ses malheurs à la fatalité. La dignité de ce peuple, c’est sa volonté d’aller de l’avant, de trouver des solutions à ses problèmes, en ne comptant que sur lui-même. C’est la force de se battre dans l’unité.
La Dignité du peuple commence là où s’achevait Mémoire d’un saccage, dont il constitue la suite explicite. Il évoque par flashs rapides les événements de décembre 2001, les manifestations, la répression, la démission du président La Rua, l’espoir de changement. Ce deuxième film sur la crise argentine moins de place que le premier aux données historiques et aux explications politiques. La situation du pays doit cependant être toujours présente à l’esprit du spectateur, et la réalisation du film, qui s’étale sur les deux années qui suivirent, la prend en compte à intervalles réguliers, chaque fois qu’une décision politique intervient. Mais si les manifestations sont toujours présentes, l’essentiel du film est consacré à la vie quotidienne de ces manifestants qui, au jour le jour, poursuivent la lutte sous d’autres formes, qui inventent de nouvelles modalités de résistance. Une résistance qui est pour eux la seule façon de survivre.
La Dignité du peuple présente ainsi une série de portraits réalisés aux quatre coins du pays, de la banlieue de Buenos Aires au fin fond de la Patagonie. Comme Martin, l’écrivain motard, la plupart n’appartiennent pas à un parti et ne font pas de politique de façon traditionnelle. Pourtant il se sent concerné par la situation et ne peut faire autrement que d’aller manifester. Blessé par une balle de plomb à la tête, il doit d’être sauvé à l’assistance de Toba, qui deviendra pour lui un véritable frère. Toba, fils d’un anarchiste espagnol, est maître d’école, responsable de la formation professionnelle. Un travail où la solidarité a un sens. Le week-end, il accueille chez lui des enfants qu’il nourrit dans la cantine qu’il a créée. D’autres rencontres sont plus brèves, comme Margharita et Colinche qui ramasse les ordures avec leur charrette. Un travail qui ne suffit pas pour nourrir leurs enfants. Il n’y a plus de déchets, disent-ils, les gens n’ont plus rien à jeter.
Solanas filme longuement les « piqueteros », ces chômeurs qui se regroupent dans des campements de fortune et qui survivent grâce à l’aide des commerçants. Ils organisent une « marche de la dignité » sur 40 kilomètres qui les conduit à la place de Mai. Ils bloquent les routes et l’accès à Buenos Aires. La répression fait deux morts. Le film intègre les images prises sur le vif de ce qui est présenté comme un véritable assassinat. « Ils l’ont tué parce qu’il avait faim », dira une femme le jour de l’enterrement. Un des morts c’est Dario, à qui Solanas rend un hommage émouvant. Il donne la parole à sa compagne, qui évoque leur rencontre, leur amour, leur vie commune. Dario aussi, comme Toba, comme bien d’autres qui créent des « cantines pauvres » agissait pour secourir ceux qui ont le plus de besoin.
Cette solidarité, nous la retrouvons dans un hôpital, où une infirmière et une assistance sociale rendent compte des difficultés rencontrés quotidiennement pour venir en aide aux 4000 patients qu’il faut accueillir chaque jour. Face à la pénurie de médicaments, une collecte publique est organisée pour les redistribuer à ceux qui en ont besoin.
L’action collective, c’est celle organisée contre les expulsions. Lors des ventes aux enchères des terres saisies par la justice, les femmes se mettent à chanter l’hymne national argentin, empêchant le déroulement de la vente. Une longue séquence montre l’affrontement de ces femmes avec un jeune procureur qui ne réussit pas à les faire taire malgré ses menaces de poursuite. Il lui faut faire appel à la police pour évacuer la salle, mais les femmes ont eu gain de cause. La vente n’a pas eu lieu.
La Dignité du peuple est un bon exemple d’un cinéma engagé qui se met au service des luttes des victimes de la crise en popularisant leurs actions de résistance. Un cinéma humaniste qui donne des raisons d’espérer dans l’avenir.
Lire sur L’Heure des brasiers, le « grand » film de Solanas :
L’Heure des brasiers, Fernando Solanas, Argentine, 1968, 260 minutes.
Premier documentaire long-métrage de Fernando Solanas, réalisé en collaboration avec Octavio Getino, L’Heure des brasiers est tourné clandestinement, en 16 mm noir et blanc, et diffusé d’abord de la façon militante. Il demanda plus de deux ans de travail, de recherche d’information et d’enregistrement d’entretiens avec de multiples acteurs engagés dans les luttes politiques et syndicales de l’Argentine tout au long de la première moitié du XX° siècle. Le résultat est un film tout à fait à part dans l’histoire du cinéma mondial de l’époque, un film en dehors des normes, par sa longueur, par son engagement, par sa forme aussi. Un film qui fera date mais qui doit être impérativement replacé, lorsqu’on le voit aujourd’hui, dans le contexte de son époque, dans l’histoire de l’Argentine et de l’Amérique latine où les idées politiques sont fortement marquées par l’expérience cubaine et la naissance des guérillas dans la mouvance de Che Guevara.
Le film de Solanas se compose de trois parties, qui théoriquement pourraient être vues séparément, même si cela n’a pas vraiment de justification en dehors de la longueur de l’ensemble. La première partie, Néocolonialisme et violence, part d’une présentation géographique et historique de l’Argentine. Elle développe ensuite les thèmes centraux de la pensée politique de l’auteur, la dénonciation de l’oligarchie, de la mainmise des richesses du pays par les puissances européennes, de toutes les formes de violences du système, violence policière ou violence culturelle mettant en opposition l’analphabétisme comme colonisation pédagogique et le pouvoir universitaire ainsi que la domination des intellectuels bourgeois. La seconde partie, intitulée Acte pour la libération, comporte une longue chronique du péronisme, de 1945 à 1955, et un état des lieux de la résistance qui dut faire face, après la chute de son régime, à la répression militaire. La troisième partie enfin, Violence et libération, la plus courte, est une sorte de synthèse de l’ensemble, proposant une « histoire de la violence » qui en démontre la place centrale dans l’histoire et la politique mondiales.
L’Heure des brasiers est un film engagé, militant même plutôt, proche de la notion d’agit-prop. Il se veut n’être pas seulement un spectacle, mais prétend agir sur le spectateur, être une forme de résistance. Solanas le souligne lui-même au début de la deuxième partie du film, pour lui c’est « un acte anti impérialisme », un hommage à tous ceux qui ont lutté pour gagner leur indépendance. A plusieurs reprises, des écrans noirs sont censés ouvrir le temps du débat. Film politique, c’est aussi un film historique qui retrace le déroulement des luttes anti-impérialistes et anticolonialistes en Argentine et dans toute l’Amérique latine.
On peut aussi le voir comme un essai cinématographique, mettant au service de la dénonciation du néocolonialisme et de la promotion de l’action révolutionnaire comme seule issue possible, des images fortes, souvent difficiles à supporter, notamment lorsqu’elles montrent la répression militaire, et un montage particulièrement travaillé, organisant des changements de rythme selon les sujets abordés. C’est un flot d’images de toutes sortes. Des images d’archives d’abord, où dominent les grandes manifestations populaire en soutien à Perón, les discours de celui-ci ou d’Eva, sa femme. Des images nombreuses aussi de la répression violente à laquelle se livrent les différents pouvoirs militaires. Des entretiens ensuite avec des militants, des syndicalistes, mais aussi de simples citoyens, témoins plus ou moins engagés dans les événements. Il y a aussi beaucoup d’écrits dans le film. Les titres et sous-titres des différents chapitres. Mais aussi des slogans, des formules choc, des citations plus ou moins longues d’auteurs politiques allant de Sartre à Guevara en passant par Frantz Fanon. Des textes toujours sur fond noir et qui apparaissent à l’écran sous forme dynamique. Dans la première partie du film surtout, Solanas mélange souvent des photos, des extraits de films (Le Ciel et la terre par exemple de Joris Ivens) des spots et des images publicitaires. Exemple type, succédant à un long panoramique survolant les buildings de Buenos Aires en vue aérienne, une séquence propose un montage alterné de vues d’abattoir, où les vaches et moutons sont assommés et dépecés à la main, avec des publicités de produits de grande consommation. En dehors de ces séquences purement visuelles, le commentaire est omniprésent, un commentaire très didactique, très rédigé, très construit même s’il peut paraître par moment un peu répétitif.
Le film apparaît ainsi comme une étrange alchimie entre le côté parfaitement classique de l’utilisation de ce commentaire et le travail sur les images lui donnant une dimension fortement visuelle. Solanas dénonce l’utilisation des médias par les pouvoirs bourgeois. « Les médias sont plus efficaces que le napalm », dit-il. Son film montre qu’il a retenu la leçon.